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Clitowashing

Le clitoris : entre remontada historique et récupération
Par Nina Faure, réalisatrice du documentaire en cours Le plaisir féminin

 

On peut s’étonner qu’entre la « re-découverte » du clitoris par Helen O’Connel en 1998 et son surgissement actuel dans l’espace public, près de vingt ans se soient écoulés. En réalité, dans ce laps de temps, un intense travail féministe de ré-appropriation du corps a été mis en œuvre, dont le clitoris est devenu un des symboles… tellement récupéré ces derniers temps qu’on peut s’interroger : est-on en train d’assister à la naissance du clitowashing ?


 

La Remontada du clitoris

Dans les recherches pour mon film, je me suis surtout intéressée aux apparitions audiovisuelles du clitoris. En 2004 sort le premier documentaire français consacré à son étude : Le clitoris, ce cher inconnu diffusé sur ARTE. Il passe relativement inaperçu alors qu’il révèle déjà l’anatomie réelle de cet organe. Y est notamment interviewée Helen O’Connel qui a eu l’idée d’en faire la première imagerie médicale, pour remédier à la criante inégalité dans le traitement des organes génitaux masculins et féminins dans les manuels de chirurgie.

En 2011, Odile Buisson donne une conférence à l’Université Paris-Diderot où elle présente des schémas anatomiques complets du clitoris. Personnellement, c’est quand j’ai vu cette conférence que j’ai compris qu’il avait des parties internes. C’était en 2013, j’avais 27 ans. J’ai envoyé cette vidéo partout autour de moi, je n’en revenais pas, personne ne connaissait. Le clitoris n’est pas un simple bouton externe : comment était-il possible que nous soyons passés à côté de cette information majeure ? Ça a été un des points de départ de l’envie de faire un film.

En 2011, Osez le féminisme réalise la première campagne d’affichage du clitoris, Osez le clito, le placardant dans les rues de Paris. Le schéma commence à se diffuser, des livres sont publiés, mais la médiatisation reste faible et aucun manuel scolaire n’est à jour.

 

 

En 2016, Odile Fillod crée bénévolement et met en accès libre sur le site SVT-égalité les plans d’un clitoris pour imprimante 3D, pour que les enseignant·es puissent s’en saisir et en imprimer pour leurs élèves. C’est le départ, en France, d’une visibilisation massive. Odile Fillod est invitée dans des émissions télévisées, notamment Quotidien, et l’initiative buzze sur les réseaux sociaux.

 

 

Dans la foulée deux sexologues de Montpellier, Marie-Noëlle Lanuit et Jean-Claude Piquard, dessinent un clitoris de 120 mètres dans un champ, le crop-clitoris, sur le modèle des mystérieux signes extra-terrestres crop-circle. L’idée est amusante et connaît un certain succès, même à l’international.

 

 

Les initiatives se multiplient, portées par le renouveau du mouvement féministe. Le clitoris est apparu sur les murs des villes, les trottoirs, devenant un symbole international. Récemment encore, le 8 mars 2019, la campagne @itsnotabretzel a proposé sur Instagram des affiches en accès libre à placarder partout. Cette liste est loin d’être exhaustive, mais donne une idée de la créativité et de l’énergie qui a été investie spontanément et généreusement par ces chercheuses, artistes et activistes pour lutter contre la méconnaissance du corps des femmes imposée par le patriarcat, notamment religieux et médical.

 

 

Ceux qui débarquent après la bataille

J’observe depuis six ans maintenant la multiplication des manifestations autour du clitoris. C’est assez fascinant, cette percée soudaine. Le sujet était repoussoir, il devient attractif, en même temps que monte la nouvelle vague féministe. Ceux qui se moquaient il y a quelques années font amende honorable, avec parfois un certain opportunisme. Pour ne citer qu’un exemple, ces deux articles parus sur Les Inrockuptibles en 2011 et 2016. À cinq ans d’intervalle, le ton est légèrement différent…

 

 

On peut se réjouir de cet attrait soudain pour le clitoris. On peut aussi s’interroger sur le fait qu’il ait été invisible toutes ces années, alors que ces informations étaient publiques, à portée de clic. L’anatomie du clitoris a été imposée dans le débat public par ce que Camille Froidevaux-Metterie appelle « le tournant génital du féminisme ». Les femmes ont analysé que le patriarcat les a privé de l’organe de leur plaisir pour mieux les contrôler et sont en train de rattraper le retard. Or c’est cette lecture politique qui tend dernièrement à être effacée par ceux qui aujourd’hui s’approprient ces recherches.

En novembre 2016, Allô Docteurs sur France 5 fait (enfin) son premier sujet sur l’anatomie réelle du clitoris. Dans leur émission de 2008 intitulée Le vagin, fourreau du désir par exemple, le schéma était encore faux, représenté comme un petit bouton externe. À ma connaissance il n’y a eu aucun rectificatif, pas plus que d’explication politique sur la méconnaissance de l’organe, ni de mention du mot patriarcat, tellement absent à la télévision qu’on pourrait le surnommer « celui dont on ne doit pas prononcer le nom ».

Les récupérations du sujet se font de plus en plus nombreuses. Cette vidéo Les mystères du clitoris de mai 2017 en est un exemple. Le Youtuber DanstonCorps y donne une leçon d’anatomie, habillé en blouse blanche. Il incarne un médecin, sans jamais analyser la responsabilité du monde médical dans la méconnaissance du clitoris. Il utilise par ailleurs des schémas venant des travaux précédents (O’Connel, Buisson, etc…) sans les créditer. 1,2 millions de vues docteur.

 

La palme du clitowashing revient certainement à Saforelle (refourgueur de savons à vulve inutiles), qui a crée la campagne « The missing page », « la page manquante », pour promouvoir le schéma du clitoris à jour dans les manuels scolaires. C’est à peu de choses près le travail détaillé et bénévole que propose l’excellent site SVT-égalité depuis des années, dont Saforelle a repris les schémas, sans les rémunérer. La campagne se termine par cette phrase « comment prendre soin de son intimité si on ne la connaît pas » et nous invite à acheter un soin lavant fraîcheur.

 

 

« Le capitalisme se débrouille toujours pour nous vendre ce qu’il a commencé par détruire » lit-on dans Sorcières de Mona Chollet. Le même système qui a construit la détestation et la méconnaissance du sexe féminin, alors que le vent tourne, se prépare déjà à nous le revendre en boîtes. Nous y reviendrons dans le film.

Une des forces du patriarcat c’est d’arriver sans cesse à ré-écrire l’histoire sans faire d’auto-critique, en effaçant l’apport des femmes et se présentant sous son meilleur jour. Gageons que cette fois-ci, ce ne sera pas si simple. C’est aussi pour raconter cela que je réalise le documentaire Le plaisir féminin.

 


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